
Les droits de douane : que signifient-ils pour le marché des crypto-monnaies ?
7 min de lecture
Donald Trump a promis depuis longtemps d’augmenter les droits de douane s’il était réélu, en visant particulièrement les voisins et compétiteurs économiques des États-Unis, tels que la Chine, le Mexique et le Canada. La Maison Blanche a confirmé que les États-Unis imposeraient des droits de douane de 25 % sur les produits importés du Mexique et du Canada, et de 20 % sur les importations en provenance de Chine, à partir du 4 mars.
Bien que pour Trump, « tariffs » (droits de douane) soit « le plus beau mot du dictionnaire [anglais] », que signifie-t-il réellement ?
Que sont les droits de douane ?
Fondamentalement, les droits de douane sont des taxes sur les importations imposées par les gouvernements pour protéger les industries nationales ou générer des revenus. Cependant, ils constituent également un outil économique puissant, souvent utilisé pour contrôler le commerce, influencer les marchés et même mener des batailles économiques.
Si les droits de douane visent à protéger les entreprises nationales en rendant les produits importés plus chers, ils peuvent aussi faire grimper les prix locaux, contribuant ainsi à l’inflation. Qu’il s’agisse de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, de la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ou de l’impact plus large des politiques protectionnistes, les droits de douane restent l’un des outils les plus controversés de la politique économique.
Pour mieux comprendre l’impact des droits de douane sur le commerce mondial et sur notre quotidien, nous nous sommes adressés à James Butterfill, responsable de la recherche chez CoinShares.
Quelles ont été les principales guerres commerciales survenues dans le passé et quel en a été l’impact ?
James Butterfill : Il y en a eu beaucoup, mais certaines des guerres commerciales les plus importantes ont eu lieu au tournant du 20e siècle :
Le tarif Dingley (1897) : il a fait passer les droits d’importation à 52 %, stimulant l’industrie américaine mais nuisant aux consommateurs en raison de la hausse des prix et détériorant les relations commerciales.
Le tarif Payne-Aldrich (1909) : il visait à réduire les droits de douane, mais les a maintenus à un niveau élevé, aggravant les divisions au sein du Parti républicain.
Le tarif Fordney-McCumber (1922) : il a imposé des droits de douane d’un niveau record (plus de 40 % dans certains cas), entraînant des représailles économiques de la part d’autres pays.
De manière générale, les droits de douane ont nui à la croissance mondiale. Même dans les années 80, les tensions commerciales entre les États-Unis et le Japon au sujet des exportations de voitures ont contribué à la bulle spéculative japonaise, qui s’est finalement effondrée, entraînant des décennies de stagnation économique.
Chaque fois qu’il y a des menaces de guerres tarifaires, elles ont tendance à nuire à la croissance économique à l’échelle mondiale.
Quel serait l’impact d’une augmentation des droits de douane américains ?
Prenons Donald Trump au mot et supposons qu’il tienne ses promesses en matière de droits de douane, de politiques d’immigration et de réductions d’impôts. Dans ce cas, l’inflation pourrait s’accélérer rapidement. Toutefois, le problème est qu’il s’agirait d’une mauvaise inflation. Par exemple, le coût d’achat d’une voiture allemande aux États-Unis augmenterait considérablement, ce qui inciterait les consommateurs à précipiter leurs achats avant que les droits de douane n’entrent en vigueur. Cette vague de dépenses pourrait temporairement stimuler les ventes au détail, créant ainsi une impression erronée de prospérité économique aux États-Unis.
Des signes précurseurs de cette tendance ont déjà été observés dans les données sur l’inflation de décembre. Or, ce type d’inflation n’est pas productif pour l’économie. Une bonne inflation se produit lorsque l’économie est florissante, c’est-à-dire lorsque la hausse des prix est due à une augmentation de la demande de biens et de services. En revanche, ce que nous observons ici est une inflation due à l’augmentation des salaires en raison de pénuries de main-d’œuvre (les restrictions à l’immigration limitant l’offre de travailleurs bon marché) et à l’augmentation des coûts due aux taxes à l’importation. Ce type d’inflation est inefficace et porte généralement préjudice à la croissance économique.
Quel impact les droits de douane peuvent-ils avoir sur les crypto-monnaies ?
Les crypto-monnaies sont devenues un élément majeur de l’économie mondiale, avec plus de 580 millions d’utilisateurs dans le monde en janvier 2024 (selon Crypto.com). Étant donné que le Bitcoin est considéré comme une marchandise dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, il convient d’examiner comment les nouveaux droits de douane américains pourraient affecter le Bitcoin et le reste du marché des crypto-monnaies.
Une fois de plus, nous avons demandé à James Butterfill de nous éclairer sur le sujet.
Comment l’impact des droits de douane sur le monde pourrait-il également affecter le Bitcoin ?
James Butterfill : À court terme, les droits de douane seraient négatifs pour le Bitcoin. Contrairement à l’or, le Bitcoin a une composante de croissance, ce qui signifie qu’il réagit aux tendances économiques et aux cycles de liquidity.
Dans un premier temps, les droits de douane pourraient :
ralentir la croissance économique, réduisant la demande d’actifs à risque comme le Bitcoin ;
augmenter l’inflation, ce qui pourrait conduire à des spéculations sur des taux d’intérêt plus élevés ;
entraîner une baisse temporaire du prix du Bitcoin, car on observe souvent une corrélation avec les actions.
Cependant, la situation à long terme est différente. À un moment donné, le marché se rendra compte que les États-Unis ne peuvent pas continuer à augmenter les taux d’intérêt alors que l’économie s’affaiblit (stagflation). À ce moment-là, le Bitcoin rebondira probablement, tandis que les actions continueront à peiner.
Actuellement, la corrélation du Bitcoin avec le NASDAQ est d’environ 40 %, bien en dessous de son record de 72 %. Mais comme nous l’avons vu en mars 2023, lors de la crise bancaire, le Bitcoin peut se découpler et servir de valeur refuge : c’est tout son paradoxe, il peut être à la fois un actif volatile et une valeur refuge.
Dans ce contexte particulier, faut-il considérer le Bitcoin comme un actif différent des autres tokens numériques ?
J.B. Oui. Les altcoins sont beaucoup plus axés sur la croissance et sont étroitement liés à l’industrie technologique.
Voici un exemple :
L’Ethereum et le NASDAQ ont une corrélation plus élevée que le Bitcoin et le NASDAQ.
L’Ethereum et d’autres altcoins se rapprochent fondamentalement des actions technologiques, tandis que le Bitcoin est de plus en plus considéré comme de l’or numérique.
Cette divergence devrait se poursuivre, le Bitcoin se comportant davantage comme une couverture contre l’incertitude économique et les altcoins restant liés au secteur technologique.
Quelques pistes de réflexion
Les droits de douane façonnent les économies, dictent les alliances commerciales et peuvent déclencher des guerres commerciales, avec des répercussions sur les marchés au niveau mondial, les chaînes d’approvisionnement et les dépenses de consommation.
À court terme, l’augmentation des droits de douane américains pourrait signifier :
une hausse de l’inflation et une croissance économique plus faible ;
une volatilité du Bitcoin et des actifs à risque.
À long terme, cependant, le rôle de couverture du Bitcoin pourrait se renforcer, en particulier si les politiques tarifaires conduisent à l’instabilité économique.
Une chose est sûre : les décisions politiques des États-Unis continueront d’influencer les marchés mondiaux, et très probablement l’avenir du Bitcoin.